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Notes de mon intervention lors du Sommet sur les arts à l’ère du numérique

Notes manuscrites de l'intervention d'Olivier Charbonneau sur le droit d'auteur numérique
J’ai eu l’honneur de participer au Sommet sur l’art à l’ère du numérique du Conseil des arts du Canada, à titre de « bibliothèque humaine » sur le droit d’auteur numérique. Mon rôle fut d’être disponible lors de l’événement, du 15 au 17 mars 2017, et de mener une suite de conversations sur mon sujet de prédilection. Les participants au Sommet ont convergé à l’Arsenal des quatre coins du Canada et de la planète…

Afin de guider ceux et celles qui se sont joint à moi pour discuter du droit d’auteur numérique, j’ai préparé une brève allocution qui propose quelques points de départ pour la conversation. J’ai retenu une approche qui tente de démystifier certaines perceptions – quatre en fait – incorrectes ou désolantes (selon moi) du droit d’auteur numérique.

Premièrement, le droit d’auteur numérique serait brisé. Je suis d’accord avec Wendy Gordon qui précisa dans un article savant daté de 1982, dans la foulée du jugement de la cour suprême des États Unis en faveur de Sony et de ses magnétoscopes Beta, que le « plus moins pire » système pour le droit d’auteur en est un qui édicte des droits de propriété forts et des exceptions flexibles. Nonobstant certains domaines qui mériteraient une meilleure protection en droit (comme la danse et les savoirs traditionnels), ce « système d’exploitation » outille la communauté à opérer des marchés et des systèmes sociaux culturels, informationnels et du savoir.

Ainsi, ce n’est pas le droit d’auteur lui-même qui est brisé, mais les applications qui se greffent à ce système d’exploitation: les licences qui amplifient les externalités, défaillances de marché et asymétries de pouvoir entre les agents économiques et sociaux. Il faut donc réfléchir aux relations privées et non au droit public pour « réparer » le droit d’auteur. Si l’on accepte cette prémisse, la dynamique des échanges et la portée des interventions requises sont tout autre.

Deuxièmement, le droit d’auteur serait complexe (je l’entend souvent). Je ne suis simplement pas d’accord. En me basant sur une conceptualisation luhmannienne, la complexité du système social du droit d’auteur (numérique ou non) n’émerge pas d’une multiplicité ou d’une infinité d’options mais bien de notre incapacité à opérer un choix judicieux parmi les quelques options qu’édicte le droit d’auteur. Prenons comme exemple mon modèle exposant les moyens d’utiliser légalement le droit d’auteur numérique :

Selon ma conceptualisation, il existerait quatre principaux moyens d’utiliser une oeuvre protégée: la pré-autorisation; la permission, l’exception et la création d’une nouvelle oeuvre. La complexité découle du fait que nous avons ni les outils (professionnels, éthiques, artistiques, etc.), ni les moyens pour choisir entre ces options. La complexité n’émerge pas de la loi, qui est relativement claire quant à nos options, mais elle nait de l’absence de moyens ou outils ou processus sociaux, politiques, économiques, éthiques pour opérer un choix légitime à l’intérieur de ce cadre.

Troisièmement, le droit d’auteur numérique – surtout les exceptions – serait du vol. Cette perception est enracinée dans l’approche néoclassique en économie, qui qui se base sur l’analyse des transactions pour comprendre les dynamiques du marché. Ce choix épistémologique introduit un biais méthodologique qui ne nous permet pas de réfléchir à la question spécifique quant à savoir quels sont les moyens d’extraire de la valeur d’oeuvre protégées par le droit d’auteur (l’analyse néoclassique tente de maximiser la richesse dans un marché – wealth en anglais – en se basant sur la transaction comme objet d’étude). Ainsi, l’utilisation équitable et les autres exceptions seraient un coût infligé au marché par l’usurpation d’un droit de propriété. Je trouve cette perspective malheureuse (et erronée) car elle ne permet pas de conceptualiser le rôle stabilisateur de l’intervention des institutions étatiques et sociales dans les marchés et systèmes sociaux d’oeuvres protégées par le droit d’auteur.

Il faut plutôt retenir une approche systémique, voire téléologique en droit (ou, plus précisément, en analyse économique du droit), afin de mieux comprendre la situation. Cette approche positionne l’utilisation équitable et les exceptions comme un investissement étatique et institutionnel dans l’oeuvre, au profit de tous, et non pas comme du vol.

Dit autrement (et dans un langage moins hermétique), si l’utilisation équitable est du vol, il est pertinent pour les auteurs d’actionner les bibliothèques. Si, au contraire, il s’agit d’un investissement, il est pertinent de comprendre les nouveaux moyens d’extraire de la valeur des oeuvres protégées en comprenant comment les bibliothèques emploient les oeuvres numériques pour bâtir de nouveaux marchés et de nouveaux systèmes sociaux. Par exemple, si le législateur rend caduc le droit d’exécution en public des films et documentaires dans les écoles et les universités, il convient de réfléchir à comment monétiser le droit de mise à disposition par Internet. Les bibliothèques acquièrent maintenant des droits de diffusion en flux (streaming) plutôt que simplement des droits d’exécution en public dans des contrats plus flexibles et pertinents pour le contexte d’utilisation institutionnel (et plus payant pour l’industrie). En lire plus ici. J’aurai le temps un jour de vous expliquer mon modèle pour résoudre le problème de la photocopie (ou numérisation) en bibliothèque scolaire ou académique suivant la même logique.

L’utilisation équitable permet un investissement institutionnel dans l’oeuvre et offre l’occasion aux marchés et agents sociaux de comprendre comment innover.

Quatrièmement (et finalement), il faut regarder au-delà du droit d’auteur pour comprendre le droit d’auteur. Le droit d’auteur est le « marteau » qui a toujours servi à tapper sur la tête du « clou » de la rémunération dans l’approche néoclassique en économie (regarder les micro-transactions pour en extraire de l’argent à chaque fois). Google, Amazon, Facebook et Apple ne font pas cette erreur. En plus des autres droits qui peuvent introduire de la valeur dans les échanges numériques (tels le droit lié aux renseignements personnels, les brevets, les marques de commerce, les designs industriels, la liberté d’expression), il faut aussi réfléchir à comment l’architecture technologique (comme les algorithmes et les données massives), les marchés (comme l’émergence des cryptomonnaies), et les normes (les licences libres comme révolte à l’hégémonie commerciale dans la culture) pour rebâtir (réifier) les mécanismes de valeur dans l’ère numérique. Cela peut impliquer que certaines utilisations d’une oeuvre ne soient plus payantes mais peuvent être réguler dans un cadre juridique privé (entente globale ou licence) qui vise certains mécanismes de rémunération (les quatre facteurs sont de Lawrence Lessig).

Il faut anticiper les externalités (positives ou négatives) et les asymétries de pouvoir qui en découlent dans un cadre plus étendu que celui strictement juridique. Il faut revisiter en profondeur les interactions entre les oeuvres protégées (numérique ou non) et les agents de marchés et systèmes sociaux pour faire évoluer notre culture.
C’est mon approche dans le cadre du projet de diffusion de jeux vidéo dans les bibliothèques québécoises – je vise à mettre en pratique ces théories et approches pour bâtir des marchés et des systèmes sociaux dignes de la culture du Canada au 21e siècle. Nous avons reçu un appui de la Fondation Knight pour créer un prototype d’une console de jeux vidéo pour les bibliothèques publiques:

Pour avoir une bonne idée de notre console, je vous invite à visiter le rapport que nous avons fait suivre à la Fondation Knight, qui a financé la conceptualisation de celle-ci:

Indie Games for Libraries (Project Report for the Knight Foundation)


Il s’agit d’un projet de recherche qui tente d’explorer et identifier de nouveaux moyens de diffuser des oeuvres numériques protégées par le droit d’auteur dans un contexte institutionnel, celui des bibliothèques, au profit de tous. Parmi les divers modèles explorés, celui qui semble correspondre aux impératifs institutionnels et informatiques serait une mallette contenant tout ce dont nous avons besoin pour jouer à des jeux, sauf l’écran: un petit micro-ordinateur qui contient déjà des jeux, des fils pour la brancher au port HDMI d’une télévision ou d’un projecteur, les manettes, etc. Un bel exemple d’une console similaire est la Nintendo Classic. Nous désirons ainsi offrir aux québécois de découvrir les jeux faits ici mais également réfléchir aux questions qui découlent du contexte de diffusion de notre culture à l’ère numérique, questions juridiques, technologiques, économiques, sociologiques, éthiques, esthétiques, etc.

Nous remercions grandement la Fondation Knight d’avoir financé la conceptualisation d’un prototype afin de valider notre concept. Depuis, nous travaillons avec des bibliothèques publiques, musées ainsi que des associations du milieu documentaire afin de valider le cadre d’intervention du projet. Nous en sommes à bâtir et solidifier des ponts avec le milieu des studios de jeux indépendants de la métropole (et ailleurs) afin d’identifier le modèle économique le plus pertinent. Et, comme de raison, nous somme en recherche de financement.

Notre projet s’inscrit à l’intersection des cercles académiques, institutionnels et commerciaux : nous désirons inviter tous les partenaires et autres organisations ou individus interpelés par ce projet à y participer. L’enjeu est de taille: rêver à comment les bibliothèques (entre autres institutions du patrimoine, de la culture et du milieu social) peuvent intervenir pour bonifier les marchés créatifs et culturels au profit de tous par la préservation et l’accessibilité des oeuvres numériques protégées par le droit d’auteur. Dans l’immédiat, nous visons la diffusion des jeux vidéo en bibliothèque publique mais ce n’est qu’un début. Si la bibliothèque est un lieu citoyen, sûr et accessible, et qui, de surcroit, finance les créateurs par ses budgets d’acquisition afin de permettre une libre circulation de leur oeuvre, comment pouvons nous l’élever comme outil de création et de diffusion numérique ? Pour atteindre cet ambitieux objectif, nous devons bonifier l’approche académique pour l’arrimer aux milieux commerciaux, sociaux et institutionnels.

À la fois pragmatique et conceptuelle, cette approche permet la mobilisation des connaissances académiques au profit de la communauté. Je suis fier de préciser que si ce n’avait pas été de l’excellent festival Montréal Joue, piloté par les bibliothèques publiques de Montréal, nous n’aurions pas pu lancer ce projet. En effet, le centre TAG de l’Université Concordia est un partenaire de l’événement par la foire thématique de jeux vidéo nommée « Arcade 11 » . Cette collaboration entre les bibliothèques municipales de Montréal et mon employeur, l’Université Concordia, m’a offert l’opportunité de réfléchir à comment mes travaux et recherches sur le droit d’auteur numérique peuvent s’appliquer concrètement sur le terrain.

Il s’agit d’un exemple concret de la mise en oeuvre des théories que je tente d’expliquer ici…

Bibliographie Bibliothécaire CDPP France LLD

À lire sur BBF

Petit rappel d’inclure les dossiers suivants du Bulletin des bibliothèques de France dans ma bibliographie de doc :
Les bibliothèques dans l’économie du livre (2000, no. 2) ;
Alliances ou concurrences (2002, no. 1) ;
Liberté de l’information (2004, no. 6) ;
Économie et droit de l’information (2006, no. 5) ;
Le droit contre les bibliothèques ? (2011, no.3)
La bibliothèque en concurrence (2012, no. 4)
(Au fait, vous savez s’il y a un moyen de télécharger un numéro entier du BBF ?)