Divagations et drôleries

Il y a de ces moments et ces lieux qui ne tarissent pas de surprendre, de révéler la beauté du monde, d’entrevoir une paix intérieure… je parle bien sûr du rayon des nouveautés de ma bibliothèque publique. Hormis l’obstination des fonctionnaires du livres de placer les nouveautés en bandes dessinées ailleurs, c’est un endroit qui capte mon attention, tel une mouche dans cette toile tissée pour m’enrober. Je peux déambuler sans relâche à l’intérieur des bouquins, entrevoir les liens qui les unissent, les mains qui les manipuleront. Il y en a même qui reviennent avec moi à la maison.

J’ai été charmé par le soliloque de Pierre-Michel Tremblay, intitulé Les divagations d’un scripteur solitaire : à propos d’humour (2022). Je m’attendais à une diatribe, j’ai dévoré une analyse empreinte d’introspections et de maturité sur un milieu, somme toute, bien complexe. Aujourd’hui, se détacher du sérieux ambiant il faut revoir les liens sacrés, car

Pour arriver à créer du comique en caricaturant et en dégradant le sacré, il faut donc qu’il y ait: 1. des cérémonies sacrées ; 2. un membre de la tribu ayant la capacité de se détacher du groupe pour se placer en position d’observateur afin de capter l’angle humoristique de l’événement.

Source: Tremblay, p. 34

Selon Tremblay, l’humour découle de quatre éléments:

1) Notre rythme interne. 2) la maîtrise du feu: le plaisir d’être en groupe, la socialisation, la capacité à se créer un environnement sécurisant. 3) La nécessité de conjurer nos peurs et nos angoisses. 4) L’habileté à prendre du recul, à se détacher pour être en position d’observateur et faire contrepoids aux cérémonies sacrées.

Tremblay p. 35

L’auteur cite plusieurs sources dans sa plaquette, on peut y entrevoir un labeur d’amour envers le rire. Notons, d’entrée de jeu (p.10), Tremblay cite le professeur François Brouard de l’Université Carleton (Ottawa). Ce dernier est co-instigateur du Groupe de recherche sur l’industrie de l’humour (GRIH), dont les travaux l’amène à contribuer à l’Observatoire de l’humour (OH) et participer à la revue savante SÉRIEUX? Humour: Savoirs et pratiques. Déjà, il y a matière à explorer les recherches sur le rire !

Ensuite, Tremblay explore la monographie de (p.16) Mahadev Apte, Humour and Laughter: An Anthropological Approach, Cornell University Press, 1985. En discutant du clown rouge et son antipode, le blanc dixit la commedia dell’arte, il encense (p. 38) l’ouvrage de Yves Dagenais, Le petit Auguste alphabétique : anthologie universelle des clowns, augustes, excentriques et autres comiques, Éditions Magellan. Sans oublier, bien sûr, le « précieux livre de madame Chantal Hébert » (p.51). Le burlesque au Québec, un divertissement populaire Hurtubise, 1985 (collection cahiers du Québec. Tout ceci donne franchement le goût de plonger dans l’histoire populaire de notre belle francophonie nord américaine.

Tremblay se démarque vraiment par sa réflexion sur l’avenir des démarches de diversité, d’équité, et d’inclusion en ce qui concerne de rire. Car, rire des différences est un enjeu de société d’autant plus aujourd’hui ! Ne prétextant aucune supériorité, l’auteur nous amène par la Rhétorique d’Aristote (p. 80) qui

expliquait que la plaisanterie doit toujours être de bon aloi, d’une certaine retenue, par opposition au rire vulgaire du bouffon, comme en fait foi cet extrait tiré de son ouvrage Rhétorique: « L’ironie est plus digne de l’homme libre que la bouffonnerie ; par le rire, l’ironiste cherche son propre plaisir, le bouffon celui d’autrui » (Rhétorique III, chapitre XVIII)

Tremblay, p. 80

L’auteur ajoute que cette perspective perdure,

Comme le romain Quintilien (…), dans son ouvrage Institution Oratoire, avoue préférer un rire urbanitas, « un langage où les mots, le ton et l’usage révèlent le goût vraiment propre à la ville et un fond discret de culture emprunté à la fréquentation des gens éduqués, en un mot le contraire de la rusticité. »

Tremblay, p. 81

En plus, l’auteur propose un passage de La critique de l’École des femmes, aux actes V et VI de Molière, où celui-ci « s’attaque au snobisme envers la comédie. » (p. 81)

Donc, le rire doit-il être éclairé ou écrasant? Parcimonieux ou populaire? Pour souligner le caractère néfaste de cette distinction barbante, Par ailleurs, il souligne quelques passages (p. 85) de son propre texte « Le rire populaire au pilori » dans le Bulletin d’histoire politique n. 17, v. 3 2009 . Tremblay suggère que la pensée critique sera la bouée de sauvetage à flot incessant de jérémiades : il donne la réplique finale (p. 86) au Figaro de Beaumarchais : « Sans liberté de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur. »

C’est peut-être pourquoi Tremblay ne cite pas Bakhtine et ses réflexions sur le grotesque ou le carvanalesque… Bon, c’est présomptueux comme commentaire je devrais moi-même lire du Bakhtine ainsi que des analyses de son oeuvre, comme : Gac, Roberto « Bakhtine, le roman et l’intertexte ». Sens public (2012). https://doi.org/10.7202/1062837ar

Par ailleurs, une publicité sur les ondes de la radio étudiante de l’Université de Montréal, CISM 89.3 FM, que j’écoute religieusement depuis plus de 20 ans, m’informe qu’il existe une école clownesque à Freilisbourg, au sud de Montréal. Ce lieu de création de l’art du clown offre une yourte géante chauffée et des options d’hébergement pour des stages de création qui se déroulent lors de la fin de semaine pour les profanes. Hâte de visiter Brimbalante!

Ce contenu a été mis à jour le 2023-02-20 à 7 h 29 min.