Induction ou déduction ?

Quelle est la source d’une découverte scientifique? Ou plutôt, comment prétendre à la découverte scientifique? La question est méthodologique, bien sûr, mais se pose surtout au chercheur pour savoir comment il approche son sujet.

Je dois avouer apprécier l’approche constructiviste. Il s’agit de tenter d’exprimer en modèle la compréhension que nous avons d’une situation. Villa propose d’ailleurs que le rôle du juriste constructiviste, qu’il oppose au descriptiviste, permet de

«reconstruire le champ d’expérience juridique qui part invariablement d’un schéma conceptuel implicitement ou explicitement prédéterminé»

Mon appréciation de cette méthode provient sans aucun doute de ma formation en commerce lors de mon premier cycle. Une des prémisse de base du monde des affaires est que l’on peut trouver de la valeur dans une nouvelle compréhension d’un marché. Il importe donc de tenter d’en explorer les modalités afin de tenter de déceler où l’entrepreneur peut avoir un impact. C’est pour cela que je tente souvent de proposer de nouveaux modèles synthétiques, qui me sont propres, face à une question qui m’intéresse. Cette position me semble naturelle.

Le texte de Von Glasersfeld vient bousculer la certitude dont je témoigne au paragraphe précédent. Il peut y avoir un gouffre entre ce que je connais et une réalité dite «absolue» et abstraite. Cette distinction vient bousculer la confiance en nos moyens dont mes professeurs de gestion nous ont inculqués lors de mon passage à au premier cycle. Il est toujours possible de prétendre au constructivisme, qu’il soit radical ou non, mais l’écueil de l’assurance doit être évité !

Ceci dit, la distinction entre l’induction et la déduction me fait réfléchir dans le contexte du constructivisme. En effet, Popper fait l’éloge de la «méthode déductive de contrôle» – c’est à dire de poser des théories générales et de procéder à la validation de celles-ci par l’expérimentation. En effet, Popper précise que l’induction (observation de phénomènes corrélatifs ou causaux afin de poser des théories) mène à plusieurs problèmes, dont celui que la science se base sur les probabilités pour exister mais aussi que l’induction peut mener à une régression à l’infini des théorèmes scientifiques. La déduction est donc à privilégier.

Finalement, Gingras propose une belle synthèse de ces questions. Les sources de connaissance sont (1.1) la pratique, l’expérience et l’observation (empirisme) ; (1.2) l’intuition ; (1.3) le raisonnement (ou surviennent l’induction et la déduction) ; et (1.4) la tradition, l’autorité et la mode. Ensuite, la science doit être reproductible, se base sur les «savants» (pairs), impose le «doute méthodique» de Descartes et est assujettie à des contraintes (état des connaissances, «certitude» du sens commun, valeurs personnelles et sociales, demande sociale). Finalement, la science explore les phénomènes sociaux et humains et doit résoudre la tension entre son objet d’étude (la guerre) et le sujet d’étude (l’humain) – c’est pourquoi l’objectivisme des sciences pures (et sa variante en sciences sociales) s’oppose au subjectivisme.

Je dois avouer que ces textes me laissent songeur. En particulier, mon statut professionnel de bibliothécaire implique une prédisposition aux valeurs de mon milieu – importance de l’accès au savoir et d’assurer sa préservation. En général, on peut l’associer à l’utilitarisme de Bentham – maximiser le bien commun.

Il est de plus en plus évident que cette approche professionnelle s’oppose à l’intérêt économique du détenteur d’un droit d’auteur. En effet, cet agent économique «lucide» tentera d’exercer le plein pouvoir de son monopole. Il s’en suit donc une tension, un paradoxe de l’information.

Malheureusement, je ne peux pas me prétendre impartial dans ce débat. Ce constat me laisse un peu incertain sur le rôle de mon travail de doctorat. En effet, je dois faire attention à ne pas me laisser emporter par mes émotions dans l’élaboration de mon projet. La rigueur et l’objectivité sont de mise.

En ce sens, l’induction semble une méthodologie dangereuse, puisque mon esprit peut être porté à retenir les faits qui se conforment à mes valeurs et à rejeter les autres. Si je suis moi-même le «thermomètre» pour évaluer l’évolution calorique d’une situation, comme le dicte une certaine approche de l’induction, je dois prendre grand soin de donner la juste valeur à chaque fait observé.

Peut-être serait-il plus prudent de procéder par déduction? Encore ici, l’établissement des hypothèses générales peut se faire selon le même biais. Je crois qu’à ce niveau, l’apport de mes collègues et de mon directeur sera de la plus grande assistance !

BIBLIOGRAPHIE
Egon GUBA, « The Alternative Paradigm Dialog », dans Egon GUBA (Ed.), The Paradig Dialog, Newbury Park, Sage Publ., 1990. p. 17 à 27

Vittorio VILLA, « La science juridique entre descriptivisme et constructivisme », dans Paul AMSELEK, Théorie du droit et science, Paris, PUF, 1994, p. 288 à 291

Ernst Von Glasersfelf, « Introduction à un constructivisme radical », dans Paul WATZLAWICK, L’invention de la réalité – Comment savons-nous ce que nous croyons savoir?, Paris, Éditions du Seuil, 1988, p. 19-42

Karl. R. POPPER, La logique de la découverte scientifique, Bibliothèque scientifique Payot, 1973, p. 23-45

François-Pierre GINGRAS, « La sociologie de la connaissance », dans Benoît GAUTHIER (dir.), Recherche sociale – De la problématique à la collecte des données, Presses de l’Université du Québec, 1997, pp. 19-48

Ce contenu a été mis à jour le 2010-01-19 à 14 h 31 min.